La prothèse numérique sous la loupe


Prothèses numériques 3Shape
Prothèses numériques 3Shape

Photo : 3Shape

On peut dire qu’une prothèse est numérique lorsqu’on utilise des outils de conception CAD/CAM (Computer-Aided Design / Computer-Aided Manufacturing) — ou en français CAO/FAO (Conception assistée par ordinateur / Fabrication assistée par ordinateur) — pour la fabriquer.

Les enregistrements (empreintes/articulés) habituels sont numérisés (scanneur intraoral ou de laboratoire) plutôt que d’être réalisés en pierre et en plâtre. Le fait de rendre ces données virtuelles permet une transmission instantanée et fidèle des captations dentaires entre les différents intervenants (clinicien et technicien en laboratoire). Il est possible de travailler à plusieurs sur le même cas et de sauvegarder le travail pour le poursuivre plus tard. Par exemple : numériser des empreintes le vendredi et terminer la réalisation des porte-empreintes individuels (PEI) sur l’ordinateur de la maison, en un temps record. L’imprimante travaillera ensuite pour vous et tout sera prêt le lundi matin à votre arrivée, comme par magie!

Intégrer des méthodes de fabrication numérique dans une pratique de denturologie simplifie et uniformise les procédures habituelles, augmente la précision et élimine plusieurs étapes de laboratoire que nous connaissons. Résultat : le denturologiste y gagne beaucoup de temps. Toutes les données sont conservées en sécurité sur le disque dur (veuillez considérer plusieurs options de sauvegarde, disque dur externe ou infonuagique hébergé au Canada) et permettent de fabriquer une nouvelle prothèse rapidement en cas de bris ou de perte.

L’environnement de travail s’en trouve également allégé. La souris et le clavier remplacent le couteau et la pièce à main. Le meulage des dents au moteur et le dégrossissage de bases acryliques se transforment en lointains souvenirs. L’utilisation de la cire, du plâtre et de l’injecteur d’acrylique est de moins en moins nécessaire. Peut-être qu’un jour le denturologiste n’utilisera qu’un scanneur intraoral, un ordinateur portable et une imprimante 3D comme équipement pour concevoir des prothèses. Avec ces nouvelles technologies, les possibilités de réalisations sont très variées. En effet, certains denturologistes n’utilisent la CAO/FAO que pour fabriquer leurs accessoires : porte-empreintes, plaque-base, plaque d’occlusion 3D, etc. Il est possible de concevoir des appareils d’essai monoblocs (try-in), et des bases d’essais préliminaires pour dents de plaquette (Ivoclar Vivadent, Vita, Kulzer, Dentsply Sirona, etc.). La prothèse hybride est aussi conçue par ordinateur, mais finalisée à la main avec une mise en moufle au laboratoire. Dans ce cas, le temps gagné lors de la réalisation du montage est considérable! Enfin, il est possible de fabriquer des prothèses 100 % numériques, qu’elles soient imprimées ou usinées.

Pour parvenir à ses fins, le denturologiste doit utiliser les outils appropriés. Voici un survol de l’équipement d’acquisition, de conception et de production nécessaire à la réalisation de prothèses dentaires numériques.

 

Acquisition numérique

La première étape consiste à numériser les données de départ et se divise en deux catégories : le scanneur intraoral et le scanneur de laboratoire.

Le scanneur intraoral (IOS) est utilisé depuis longtemps chez les dentistes, en majorité pour des restaurations de couronnes unitaires ou jumelées en céramique ou en zircon ou pour des traitements orthodontiques à coquilles.

Le denturologiste qui possède cet outil fantastique peut, à son tour, capter virtuellement les tissus dentaires d’un patient pour réaliser ses prothèses. Il est possible d’éviter les empreintes primaires dans la majorité des cas, que ce soit pour traiter un édenté complet ou partiel, ou pour fabriquer une prothèse immédiate. Les pièces squelettiques réalisées à partir de numérisations intraorales sont d’une précision à couper le souffle.

À la manière d’un transfert vissé classique, le denturologiste peut installer un scan body (transfert de pilier) dans un implant ou sur son pilier pour numériser sa position par rapport à la gencive et ainsi procéder à une restauration sur implants.

Le scanneur de laboratoire (ou de table) permet quant à lui de numériser des empreintes primaires ou finales en alginate ou en PVS et des modèles de pierre. Il est même possible de numériser la position exacte d’un modèle monté au préalable sur un articulateur grâce à des plaques aimantées calibrées. Pour réaliser des restaurations sur implants, il faut installer les mêmes scan body que l’on aurait utilisés en bouche sur le modèle de pierre.

Ces deux options peuvent être utilisées de manière complémentaire ou unique. Un denturologiste peut se débrouiller avec un seul des deux outils d’acquisition. Néanmoins, la variété des solutions offertes par la combinaison de ces scanneurs est infinie!

Conception virtuelle

Les logiciels de conception sont nombreux. Ceux-ci permettent de recevoir et de traiter les numérisations, ainsi que de concevoir les divers appareils dentaires.

Certaines compagnies offrent des solutions complètes. 3Shape et inLab (Dentsply Sirona) fabriquent des scanneurs et leur suite logicielle de conception, tandis que d’autres offrent des solutions partielles. Par exemple, Exocad vend un logiciel de conception qui traitera les numérisations issues des appareils des autres compagnies. CADstar offre des scanneurs de laboratoire, pendant que Medit propose le IOS Dios 4.0. SHINING 3D fabrique les deux types de scanneurs.

Comme ailleurs dans le commerce, plusieurs écoles de pensées existent en ce qui concerne les logiciels de conception, il faut donc choisir son camp! 3Shape possède une grande communauté d’entraide. Plusieurs groupes de discussion ont vu le jour sur Facebook; les utilisateurs du logiciel peuvent ainsi soumettre leurs commentaires aux développeurs et concepteurs. Bref, la mise au point de cette technologie est en constante évolution.

Le logiciel Blue Sky Plan est disponible en téléchargement gratuit, mais il faut payer « à la pièce » pour exporter chacune des réalisations. Exocad représente une solution de rechange à 3Shape, tandis qu’Avadent est un programme qui permet de sous-contracter la fabrication des étapes laboratoire. Ce logiciel a d’ailleurs grandement contribué à la démocratisation de la prothèse dentaire numérique

Après avoir choisi la solution qui lui convient, le denturologiste doit s’équiper d’un ordinateur puissant, d’un poste de travail confortable et d’une souris 3D.

 

Impression ou usinage des prothèses

Une fois l’appareil dentaire conçu virtuellement, il faut le rendre tangible. Encore une fois, plusieurs avenues s’offrent à nous, à savoir l’impression 3D et l’usinage.

Les imprimantes 3D de Formlabs, Asiga et Nextdent sont très populaires sur le marché canadien et permettent d’imprimer tous les types d’accessoires. Elles sont constituées d’un bac amovible contenant de la résine et d’une lampe de polymérisation qui imprime les couches en superposition jusqu’à l’obtention de l’objet : porte-empreinte, plaque-base, montage d’essai, plaque occlusale, modèles dentaires, gencive souple pour modèle d’implant, armature calcinable de pièce squelettique ainsi que la base et les dents d’une prothèse dentaire. Les résines sont de plus en plus durables, certaines étant assez résistantes se qualifient pour imprimer des couronnes finales. Ivoclar Vivadent commercialise l’ensemble PR5, qui imprime pour l’instant des modèles, des guides chirurgicaux, des plaques occlusales et des waxup (cirages diagnostiques) calcinables.

Vient ensuite la catégorie très vaste des unités d’usinage. Elles permettent de machiner le fichier conçu en fraisant une rondelle d’acrylique, de cire, de titane, de chrome-cobalt et de plusieurs autres matériaux (PEEK, Ultaire AKP, etc.). Il existe des unités WET et des unités DRY selon les besoins. Roland, Ivoclar Vivadent (PM7), Amann Girrbach, imes-icore et Dentsply Sirona fabriquent des unités d’usinage. Celles-ci doivent être alimentées par un puissant compresseur et, idéalement, placées dans un endroit insonorisé, car elles sont bruyantes.

Parmi toutes ces options, j’ai opté pour les équipements et le logiciel de 3Shape. En salle, j’utilise un scanneur intraoral Trios et dans le laboratoire, un E4. 3Shape est un logiciel ouvert, il est donc possible pour moi de recevoir et de traiter les numérisations des professionnels qui utilisent des programmes de compagnies différentes. En groupe, nous avons acheté l’unité PM7 de la compagnie Ivoclar Vivadent qui permet d’usiner les matériaux dentaires couramment utilisés, dont la fantastique prothèse monolithique Ivotion.

En conclusion, l’univers numérique est en constante évolution. Nous, les denturologistes, pouvons maintenant y accéder à l’aide d’équipements économiques et en sous-traitant notre production. Mais les plus perfectionnistes souhaiteront contrôler les résultats du début à la fin grâce à une qualité d’acquisition initiale supérieure… Une avenue passionnante que nous explorerons dans le prochain numéro!


Ce texte a été rédigé par Sébastien Martel, d.d., et  publié dans  Le Denturo, édition du printemps 2021.  Pour lire plus d’articles d’aide à la pratique, consultez le seul magazine de denturologie au Québec, distribué exclusivement aux membres de l’Association des denturologistes du Québec.

À propos de l’auteur

Denturologiste depuis 1998, Sébastien Martel, d.d., pratique à Terrebonne au sein du groupe Ivoire Santé Dentaire. Détenteur de la certification Maître BPS et formateur 3Shape autorisé, il dirige également l’Académie Ivoire et agit comme Key Opinion Leader (KOL) pour Asiga. Son implication et son avant-gardisme lui ont valu le titre de Denturologiste par excellence de l’année 2020 décerné par le Sénat de la denturologie du Québec.

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